Le musée d’Art moderne de Villeneuve-d’Ascq a édité en 2021 une carte interactive de jardins d’exception belges et français. Par jardin d’exception, ne croyez pas à des jardins d’André Le Nôtre ou de Lancelot Brown mais plutôt à des jardins insolites dans lesquels particuliers et paysagistes se sont inscrits, sans le savoir peut-être, dans la tendance de l’upcycling.

Avec des matériaux de récupération, ces artistes ont créé des aménagements différents et se sont approprié l’espace de façon originale.

De telles réalisations sont-elles des œuvres d’art ? Parfois, elles sont reconnues comme telles parfois non. Prenons quelques exemples.

La cabane de Hobbit à Tournefeuille

Sa maison squattée, un homme devenu sans abri plante sa tente dans un parc à Tournefeuille (Haute-Garonne – France). Voilà qui dérange.

Qu’à cela ne tienne, l’homme a des idées. Avec des blocs de mousse trouvés dans des poubelles et un peu de peinture, il dissimule son abri derrière une façade … en tout point semblable à celle d’une maison de Hobbit. Les promeneurs apprécient. Emporté par son élan, il persévère et se construit un logement de fortune digne de Tolkien. Sa maison devient une attraction dans le parc. L’imaginaire titillé, les visiteurs sont emballés. Les enfants y jouent, des liens se tissent, des ateliers sont organisés.

L’administration communale ne l'entend pas de cette oreille ! Cette construction dans un espace public est illégale. Un avis d’expulsion tombe. Devant le tollé suscité par cette décision, une rencontre est organisée le 03 janvier 2023 pour trouver des solutions alternatives et discuter de l’avenir de la chaumine. Autrement dit, il a été proposé au constructeur de demander un logement social et d'être aidé pour la recherche d’un emploi dans un domaine culturel.

Une info chassant l’autre, la presse ne semble pas avoir relayé la suite réservée à cette initiative. Peut-être la maison a-t-elle été détruite ?

 

Le Palais idéal du Facteur Cheval à Hauterives

Il n’a jamais quitté sa Drôme natale mais a voyagé à travers le monde. Qui ne le connaît pas ? C’est Ferdinand Cheval (1836-1924).

Après avoir exercé différents métiers, il passe l’examen d’état et devient facteur en 1867. Les cartes postales et les revues qu’il distribue au gré de ses tournées le font rêver, rêver de construire un palais. Avril 1879 est le mois du déclic. Dans ses écrits, il relate l’origine de cette révélation : il a trébuché sur une pierre du chemin. Dans la forme insolite du caillou, il voit un signe du destin. Il est temps de construire ce Palais idéal dont il a toujours rêvé.

Chaque jour, il ramène son lot de pierres et, peu à peu, prend forme le « Palais idéal du Facteur Cheval ». Bien sûr, il est traité de fou et l’œuvre de bizarre voire de mauvais goût. Mais il n’en a cure et pendant 33 ans, il poursuit sa besogne. Il devient même un précurseur du béton armé dans la technique d’assemblage utilisée (chaux, ciment et armatures métalliques). Un tel ouvrage fait parler de lui, déjà à l’époque. Des intellectuels et des artistes contemporains s’y intéressent : Picasso, Eluard, et Ernst, entre autres. Il attire les curieux, de plus en plus nombreux. Le bâtiment est classé « Monument historique » le 02 septembre 1969. Il devient pleinement propriété communale à partir de 1994.

Le palais joue un rôle de pôle culturel et touristique : livres, BD, chansons, séries télévisées, films, expositions, … Toute une activité économique et artistique se développe autour du lieu et de citer, par exemple :

  • Le réalisateur français Nils Tavernier lui dédie un film en 2018, « L'Incroyable Histoire du facteur Cheval ».
  • Avec l’exposition « Le rêve de l’eau », l’été 2022 y accueille les fontaines de verre du sculpteur français Jean-Michel Othoniel.
  • Actuellement y sont présentés 6 clichés inédits de la photographe Dora Maar, muse de Picasso. Leur sujet ? Le Palais bien sûr. Ils ont été pris lorsqu’elle a visité les lieux en juillet 1937 avec Picasso qui lui en réalisera une série de dessins.

 

La maison Picassiette de Raymond Isidore à Chartres

Tout comme Ferdinand Cheval, il ramasse.

Pour Raymond Isidore (1900-1964), ce seront des morceaux de porcelaine et de verre qu’il accumule au gré de ses balades. Pas bien longtemps car, en 1938, il se lance avec passion dans la décoration intérieure de sa maison. Il couvre les murs, le sol et les plafonds de fresques et mosaïques. De là, il passe aux façades, au jardin. Avec la surface vient la pression, impérieuse, accentuée par ses troubles mentaux et la charge de sa condition sociale. Toujours à la recherche de vaisselle cassée, il écume les poubelles, les décharges, devient un client assidu des brocanteurs. Il y consacre 24 ans. 

Une partie de ses réalisations disparaît dans un projet immobilier en 1962. Lui décède en 1964. Mais son œuvre sera sauvée et préservée de l’oubli. En 1981, la ville rachète la maison à la veuve. En 1983, elle est reconnue « Monument historique » et reçoit le label « Patrimoine du XXe siècle » en 2016.

Lui qui trouvait l’inspiration dans ses rêves a été raillé par ses contemporains. Original, excentrique, … sont quelques-uns des vocables les plus doux dont il a été qualifié. D’autres, par contre, y verront la marque d’un art naïf et spontané. Quoi qu’il en soit, sa réalisation fait parler d’elle. En 1954, Picasso la visite.

En 1989, s’appuyant sur la Maison Picassiette, un pôle d’animation autour de la mosaïque et de réhabilitation urbaine voit le jour à Chartres. Les 3R pour « Rénover, Restaurer, Réhabiliter », une association à vocation d’insertion professionnelle, est créée. Elle s’accompagne d’une régie de quartier et d'un atelier de mosaïque.

En 1979, l’architecte néerlandais Maarten Kloos, directeur du Centre d'Architecture d'Amsterdam (ARCAM), consacre un ouvrage à cette maison. D’autres auteurs prendront le relais, régulièrement, avec des objectifs divers : études patrimoniale, sociétale, anthropologique. Des ethnologues s’y intéressent tels Pascal Le Rest et Patrick Macquaire, un passionné de mosaïque contemporaine et ancien directeur des 3R.

 

À travers des visites, des ateliers, des animations, des expositions, … de telles initiatives sont génératrices de lien social, de ressources financières, d’activités culturelles. Toutes ont en commun de recourir à la récupération et sensibilisent à la notion d’économie circulaire. Lorsqu’elles sont non reconnues, il arrive trop souvent que ces réalisations personnelles, en-dehors des sentiers battus, disparaissent avec l’application de la loi, la fuite du temps et la mort de leurs propriétaires.

Or leurs démarches ouvrent à la réflexion sur :

  • la notion de l’art

Quelle est la place des préjugés ? De telles réalisations sont-elles des œuvres d’art ? Quelle est l’essence de l’art ? Pour être reconnue comme artistique, une œuvre a-t-elle besoin de signes distinctifs ? En quoi une architecture spontanée est-elle une œuvre d’art ? Que l’on aime ou pas, la question n’est reste pas moins très subjective.

  • l’économie circulaire

Y a-t-il des limites à la récupération ? Quels débouchés, classiques ou alternatifs, s’offrent à l’économie circulaire ? Quelle compatibilité entre économie circulaire et patrimoine ? Ne travaille-t-elle pas sur deux tableaux, source d'inspiration pour l'artiste, sensibilisation à l'art pour le spectateur ?

Qu’en pensez-vous ?

Et, avant d'oublier ... la carte des jardins insolites pour une visite printanière : habitants-paysagistes.musee-lam.fr

 

 

Sources :
- « Une carte pour découvrir des maisons et jardins extraordinaires façonnés par des gens ordinaires », Sofia Colla, 17/12/2021, www.wedemain.fr
- « Près de Toulouse, ce « château de hobbits » habité par un SDF devra être démonté », Le HuffPost (avec AFP), 29/12/2022, www.huffingtonpost.fr
- « Près de Toulouse, la "maison de Hobbit" d'un SDF bientôt évacuée à la demande de la municipalité », Marion Meyer, 29/12/2022, france3-regions.francetvinfo.fr
- « La Maison Picasiette », maisonpicassiette.jimdofree.com
- « La Maison Picassiette de Raymond Isidore », www.chartres.fr
- www.facteurcheval.com
- « Jean-Michel Othoniel réenchante le Palais idéal du facteur Cheval », Agathe Hakoun, 07/03/2022, www.connaissancedesarts.com
- « Photo : le Palais idéal du facteur Cheval dévoile de rares images faites par Dora Maar lors de sa visite avec Picasso », Agathe Hakoun, 13/02/2023, www.connaissancedesarts.com
- « Le Palais Idéal du Facteur Cheval, chef-d’œuvre de l’art naïf, se révèle pour la première fois en virtuel », Antoine Bourdon, 08/04/2021 www.connaissancedesarts.com
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